A l’attention de Nicolas HULOT pour Jacques CHIRAC SOMMET DE LA TERRE Johannesburg - Septembre 2002.
Quelques idées-forces ou mots-clés pour souligner les incohérences de la politique agricole actuelle.
L’Agriculture qui avait pour fonction essentielle, de tout temps, la production d’énergie gratuite et comestible à partir du soleil (photosynthèse, encore non-brevetée…produisant des milliards de kilowats à chaque seconde) est devenue en 50 ans « pétrolière » c-a-d. essentiellement consommatrice d’énergie fossile.
N.B. Il faut 2,5 tonnes d’équivalent-pétrole pour produire artificiellement une tonne d’azote à l’aide de la chimie industrielle.
Il y a 80 tonnes d’azote par hectare au-dessus de nos têtes dans l’atmosphère qu’avaient pour avantage de capter gratuitement et d’enrichir l’écosystème, les végétaux supérieurs, toutes les petites légumineuses de nos prairies, (trèfles, sainfoin, luzerne, lotier, fèves, pois, haricots, seradelle, lentilles, lupins, etc… aujourd’hui disparues au bénéfice des graminées dont la famille des céréales – grosses consommatrices d’énergie.
Exemple des bienfaits de ces végétaux protéagineux :
1 hectare de lupin produit en moyenne 1 à 2 tonnes d’azote comestible à l’hectare sur de très mauvais sols et sans fertilisation associée.
De plus, il laisse 250 kg d’azote organique à l’ha par ses résidus (racines-tiges-feuilles) exploitable par la culture suivante. C-à-d. un très haut niveau de fertilisation qui ne nécessite aucun apport d’azote extérieur.
Ecologie et économie : Cet azote naturel (organique) - non soluble – donc non lessivable accompagné d’autres substances nutritives (commensaux) est bien supérieur à l’azote « chimique » d’origine industrielle, soluble et volatile qui empoisonne les nappes phréatiques (nitrates – nitrites) et l’atmosphère (protoxyde d’azote – gaz à effet de serre).
En d’autres termes on à inversé la vocation et le rôle de l’agriculture pour en faire une fonction essentiellement dépendante et consommatrice d’énergie alors qu’elle était autrefois productrice d’énergie naturelle et de biens de consommation nobles.
Cette nouvelle configuration s’accompagne d’un triple phénomène négatif :
1°) l’érosion des sols due à l’usage intensif, des substances chimiques qui brûlent la terre sont pour une part importante dans la désertification accélérée (1 ha toutes les 4 secondes) et la disparition de la couverture végétale (capteurs verts de CO²).
2°) Simultanément, cette agriculture énergivore à base de carburant fossile et d’engrais industriels, participe à l’effet de serre, par largage dans l’atmosphère de quantités considérables de CO², stocké depuis des millénaires dans le sous-sol.
3°) L’usage intensif des engrais azotés se traduit par la production induite de protoxyde d’azote, autre gaz à effet de serre que génère l’agriculture moderne.
(On estime à 40 kg/ha, par an, la production de protoxyde d’azote sur environ 10 millions d’ha intensifs en France (la SAU totale étant de 31 millions d’ha) ; on peut estimer à près d’un demi-million de tonnes la production de ce gaz à effet de serre par an sur la seule France).
De plus, le modèle alimentaire occidental, avec ses cultures spéculatives, délocalisées aux quatre coins du monde, est une hérésie économique, écologique et sanitaire.
Ses « circuits longs » sont essentiellement ravageurs d’espace et gaspilleurs d’énergie par les transports incessants de marchandises, alors qu’il serait plus avantageux de produire l’essentiel des besoins d’une population à proximité des grands bassins de consommation.
Il n’est pas rare qu’un aliment fasse trois fois le tour de la Terre pour arriver dans l’assiette du consommateur, d’où la noria des camions et autres engins motorisés qui crachent leur contingent de CO² pour assurer la persistance de se modèle extravagant. Parallèlement ces circuits longs nécessitent une dépense accrue en emballages, en infrastructures de transports et de stockages réfrigérés (autres sources de gaz à effet de serre, autres gaspillage et pollutions).
En d’autres termes, « le coût caché » de ce modèle alimentaire est essentiellement supporté par les secteurs dits « périphériques » subtile périphrase des experts communautaires pour dire que les coûts externes(non comptabilisés et non supportés par les producteurs) sont reportés vers les contribuables et les générations futures…
Les consommateurs comprennent de plus en plus maintenant, que cette alimentation « peu chère » en apparence et très « démocratique » qu’on leur vante à longueur de spots publicitaires et de discours politiques, ils l’ont déjà payée 3 fois en qualité de contribuable avant de l’acheter à l’étal du marché…
Ces coûts externes se comptent par milliards d’euros chaque année dans chaque pays de l’Union Européenne ( étude anglaise très détaillée, publiée en 2001 par l’agence gouvernementale English Nature sous la responsabilité des économistes de l’Université de l’Essex U.K.) en réparations des dégâts causés par l’agriculture à l’environnement.
(23,5 milliards de Francs – 3,58 milliards d’euros, par an, pour le seul Royaume-Uni), ce qui équivaut à peu près au revenu de ce secteur.
En fait nous payons très cher la compétition et les performances des champions du rendement/ha : 3 ou 4 fois la valeur des denrées que nous récoltons… Ubuesque !
Autre aspect intéressant de l’impasse dans laquelle se trouve le modèle alimentaire occidental :
- 120 kg de viande par individu et par an contre 20 kg au début du XXème siècle est-ce un challenge durable et extensible aux autres peuples de la terre, quand on sait qu ‘avec un bœuf on peut faire 1.500 repas, mais qu’avec les céréales qui ont nourrit le bœuf on peut faire 18.000 repas…. ? Je cite dans mon livre « La Terre malade des Hommes » cette anecdote sous le titre « le banquet des cannibales » : Réalise-t-on le rapport entre un arbre et un Big-Mac ? - entre un bœuf et le désert… ?
« Un hectare de forêt pour chaque boulette de viande » titrait le journal allemand Aertze Zeitung en 1990. Globalement les Etat-Unis transforment chaque jour 1.000 tonnes de viande de bœuf en boulettes….Ce qui signifie le déboisement accéléré de contrées entières du continent américain. Le phénomène est impressionnant : 250 millions d’être humains se livrent chaque jour, par hamburgers interposés, à cette destruction massive du milieu naturel de l’Amérique Latine. Exemple : le Costa Rica était recouvert à 72% de forêts en 1950.
Cette surface n’est plus que de 26% aujourd’hui et 60.000 hectares sont déboisés annuellement pour les besoins de Mac Donald ou autre Burger King….
ET c’est ce modèle que nous privilégions, puisque toutes les 17 heures s’ouvre un nouveau Mac Do dans le monde. Celui de Moscou est le plus fréquenté d’Europe !
Autre réflexion majeure concernant les orientation de la politique agricole nationale et communautaire :
La France, l’Europe, ont-elles pour vocation de consacrer les ¾ de leurs moyens budgétaires au soutien de la production et de l’exportation des céréales, quand dans le même temps elles dépendent à 80 % de l’importation des protéines étrangères.
Ce qui constitue une dépendance et une vulnérabilité extravagante à la merci de tout incident climatique, diplomatique, ou commercial.
Ne serait-il pas plus sage, en dépit des lobbies céréaliers, de consacrer moins d’ha aux céréales et plus aux légumineuses – protéagineuses qui constitue en outre un avantage certain dans les rotations pour que nous bénéficions d’économies d’énergie et de production gratuite d’engrais naturels sans parler de l’impact salutaire qu’exercent ces successions de cultures sur un même sol pour le contrôle de l’érosion, le contrôle des parasites et des maladies sans recours systématique aux pesticides.
22 millions de tonnes par an de tourteaux de soja importés, payées en dollars, voilà la facture
que nous supportons depuis ¼ de siècle, alors que nous pourrions consacrer 1 millions d’hectares de terres en jachères pour lesquelles nous payons les agriculteurs à ne rien produire ?
Invité à un colloque sur l’avenir du monde rural au coté de Jean-Pierre RAFFARIN
et de Luc Guyau en novembre 1999 à Chauvigny dans la Vienne, j’ai posé cette question cruciale : Avons-nous pour vocation unique l’exportation de céréales pour inonder le monde ce qui a pour conséquence de détruire les agricultures locales des P.V.D. quand nous-mêmes prenons un risque extravagant pour nos élevages à dépendre à 80% des importations de protéines que nous pourrions produire nous-mêmes dans des conditions économiques et écologiques bien supérieures ?
J’attends encore la réponse de mon interlocuteur, Luc Guyau, qui a bien entendu et compris toutes les autres questions, sauf celle-ci….Attitude révélatrice de l’impossibilité de trouver une justification cohérente à ce qui constitue l’un des scandales de notre politique agricole et qui par ailleurs en a suscité d’autres, comme celui des farines animales et de la « vache folle »
Généralités : La réponse hypocrite au problème de la faim dans le monde est de feindre de croire que le problème est technique alors qu’il est avant tout politique…
Rappel statistique: Il y a environs 1,3 milliard de paysans dans le monde.
30 millions seulement sont motorisés.
300 millions ont une traction animale
970 millions produisent tant bien que mal leur maigre subsistance avec l’expression la plus noble de l’énergie : La force des bras.
Le rendement moyen de ses petits paysans est de 4 à 5 quintaux /ha.
Il suffirait seulement de leur permettre, par des moyens simples, peu onéreux, et peu destructeurs de doubler cette production (soit : 10 qux/ha) pour que le miracle alimentaire apparaissent sur la terre et rende dérisoires les performances des quelques millions d’agriculteurs intensifs qui non seulement polluent l’environnement, mais condamnent leurs leur sols à la stérilité, à brève échéance.
Faisons le calcul : 1 milliard de producteurs (durables) à 10 quintaux contre 30 millions intensifs à 100 – 150 et, pourquoi pas, 200 qux./ha…
Le nœud du problème est ici : est-ce que la population de la terre doit rester soumise aux impératifs technico-commerciaux d’une poignée de multinationales qui influencent, à leur profit exclusif, les politiques dans le monde, où devons-nous rendre aux êtres humains la liberté et le droit de produire eux-mêmes pour la satisfaction de leur besoins essentiels ?
Il suffirait de permettre aux populations paysannes, par la connaissance de méthodes très simples (compostage, rotations et associations végétales, cultures de plantes indigènes, variétés adaptées aux situations particulières, (irrigation économe au goutte-à-goutte pour les plus avancés) de produire de manière autonome pour que la Terre regorge d’aliments.
Quelques exemples que je connais :
Le Frère Michel, jésuite français à Madagascar qui m’informe régulièrement depuis dix ans de ses avancées avec la population rurale de Fiantanarosa, a réussi ces dernières années à quadrupler les récoltes de riz de sa petite communauté, uniquement par la fertilisation à base de compost et la réhabilitation de variétés de riz indigènes.
Le cas de Pierre Rabhi au Burkina-Faso, (en plein Sahel) qui a quintuplé les récoltes de pommes de terre par l’instauration du compostage dans les cultures, à la place des engrais du commerce et par la fabrication d’un insecticide naturel (non toxique) élaboré sur place par macération à partir de l’écorce amère d’un arbre local le « Cail-cédrat » . Cette simple préparation utilisée en épandage foliaire joue le rôle de répulsif contre les insectes parasites, prédateurs, des cultures…
Il y a des dizaines d’exemples de ce genre de réussite alternative que s’efforce d’occulter ou de ridiculiser le système dominant qui, a tellement peur et tellement à perdre si ces initiatives se multiplient.
La question philosophique pourrait être : Est-ce que le bonheur est une grande usine ?
Et la question complémentaire est : le système actuel n’a-t-il pas pour principal objet de faire de nous les otages permanents d’une assistance technologique sophistiquée et coûteuse, mais dévastatrice et condamnée à terme ?
Le modèle alimentaire actuel s’apparente plus à « une industrie de la faim » et de la « fin » qu’à une « révolution verte » salvatrice. Qu’on m’explique pourquoi, en cinquante ans, la population du globe n’a que doublé alors que la famine à été multipliée par dix, malgré les performances technologiques de l’agriculture ?
Qu’on m’explique pourquoi l’Afrique qui était auto-suffisante au sortir de la dernière guerre mondiale se trouve aujourd’hui dans une telle détresse alimentaire ?
J’avais évoqué dans le Krach Alimentaire comment « le tracteur n’a pas sauvé l’Afrique », mais comment les pratiques agricole intensives et monocultures industrielles ont contribués à son effondrement.
800 millions de terriens souffrent de famine et probablement ce chiffre va s’aggraver par pénurie d’eau prévisible, stérilisation et désertification de millions d’hectares chaque année, appauvrissement des ressources génétiques, migrations de réfugiés écologiques de plus en plus nombreux qui désorganisent et trouble la paix civile des régions encore auto-suffisantes.
Par égoïsme, par lâcheté, ou par ignorance nous accumulons les « bombes à retardement » que laisse derrière elle notre industrieuse et arrogante civilisation.
Les pillards qui continuent à saccager la planète
ont plus d’impact et d’influence sur les gouvernements de la Terre que les citoyens, les démocrates et les écologistes qui ont compris que notre monde est confronté à des révisions déchirantes et inéluctables.
Comme je te l’ai dit, en matière de production agricole, les solutions simples, pacifiques, efficaces existent, mais comme je suis aussi réaliste et que je mesure les forces en présence, je sais que n’importe quel homme d’état , sans soutien populaire, (et même avec) ne peut prendre des décisions brutales, contraire aux intérêts des groupes de pressions économiques, sans risquer être anéanti avant même que les réformes soient appliquées.
Donc je n’en voudrais pas au Président de ne pas endosser la tunique des martyrs, en attendant que les citoyens consommateurs réforment leur comportement de complices volontaires ou involontaires à ce système destructeur en décidant d’acheter ou de ne plus acheter les produits reconnus comme néfastes à l’environnement, à la société, à la santé…
Mais je lui en voudrais de contribuer à la désinformation et à la manipulation de l’opinion en étouffant les voix de ceux qui travaillent à l’évolution des consciences.
Actuellement la technologie est en passe de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout, et de détruire plus de biens qu’elle n’en créé.
Faut-il continuer à considérer l’agriculteur comme un protecteur de la nature (ce que contestent même les chasseurs, (autre catégorie de protecteurs auto-proclamés de la nature) ?
Non seulement de tels propos discréditent leurs auteurs en regard des faits observés, mais de plus ces propos vont accentuer l’irritation de nos concitoyens à l’égard l’agriculture et de la politique.
Cordialement.
Ph. Desbrosses