OGM : Retrait de l'etude du Professeur Seralini

OGM : Retrait de l’étude du Prof. Séralini – lettre du Professeur Marcel Roberfroid, UCL

Suite à notre appel aux scientifiques belges pour qu'ils envoient un message de protestation aux responsables de la revue Food and Chemical Toxicology (communiqué de presse du 4 décembre 2013), le Rassemblement R a reçu un courrier de Marcel Roberfroid. Marcel Roberfroid est Professeur émérite de biochimie et toxicologie à L’Université Catholique de Louvain, ancien éditeur de la revue Food and Chemical Toxicology, la revue qui a dépublié l’article du Prof. Séralini.

C’est avec plaisir que nous reproduisons ici son courrier, précédé d’une introduction de l’auteur.

Introduction du Prof. Roberfroid

A propos de la rétraction de l’article de GE Seralini publié en 2012 dans la revue ‘Food and Chemical Toxicology’ et intitulé (traduction française du titre en anglais): « Toxicité à long terme de l’herbicide Roundup et du mais génétiquement modifié tolérant au Roundup ».

Cette étude d’une durée de 52 semaines, qui a fait grand bruit, rapporte des effets néfastes d’un OGM, d’un pesticide dans sa formulation disponible commercialement et du mélange des deux. Parmi ces effets néfastes il y a, principalement chez les rates, l’apparition de tumeurs parfois très volumineuses.

C’est en tant que toxicologue, par ailleurs ancien éditeur de la revue ‘Food and Chemical Toxicology’ que j’ai été amené à m’intéresser à cette publication. C’est aussi à ce titre que j’ai été très interpelé par la décision récente de l’éditeur en chef de rétracter cet article sur base d’arguments que je n’ai pas vraiment compris. C’est à ce titre que j’ai réagi en lui envoyant la lettre dont copie ci-dessous, lettre qui, normalement, devrait être publiée avec d’autres dans un supplément de la revue.

Lettre du Prof. Roberfroid à la revue Food and Chemical Toxicology (la version originale en anglais suit)

Cher Collègue,

En tant qu’ancien rédacteur en chef de la revue Food and Chemical Toxicology (FCT), j'ai honte de votre récente décision de retirer l’article du Prof. Séralini que vous aviez préalablement accepté de publier après un processus de relecture complet qui, je le crois, avait été réalisée avec le sérieux habituel d’un journal de grande qualité comme FCT. L’un des arguments à l'appui de votre décision semble être, si je suis correctement informé, le nombre d'animaux par groupe. Evidemment tous vos relecteurs connaissaient ces nombres mais n’ont pas considéré cela comme un argument suffisant pour rejeter l’article. Comme indiqué clairement par ailleurs, votre décision n'est pas conforme aux règles éditoriales du FCT.

Dans vos réponses qui justifient le retrait, vous soulignez en outre ce que vous appelez une « conclusion non fiable » . En effet, vous écrivez que : « Les données ne sont pas concluantes, donc la revendication ( c.-à-d la conclusion ) que le maïs Roundup Ready NK603 et / ou l'herbicide Roundup ont un lien avec le cancer n'est pas fiable. Le Dr Séralini mérite le bénéfice du doute : c’est une erreur honnête qui a mené à cette conclusion non fiable. L'examen des données a précisé qu'il n'y avait pas faute. Toutefois, pour être très clair, c'est tout l’article, avec l'affirmation selon laquelle il existe un lien certain entre les OGM et le cancer qui est rétracté. Le Dr Séralini a exprimé de manière très loquace qu'il estime que ses conclusions sont correctes. Selon notre analyse, ses conclusions ne peuvent être déduites des données présentées dans cet article » .

En relisant l'article, je n'ai pas trouvé où serait revendiqué ou conclu qu’ « il existe un lien certain entre les OGM et le cancer » . Au contraire, dans le paragraphe de conclusion, les auteurs ne mentionnent même pas les tumeurs et, dans le dernier paragraphe, ils concluent que « ... les OGM alimentaires agricoles et de pesticides formulés doivent être évalués avec soin par les études à long terme pour mesurer leurs effets toxiques potentiels ».

Selon moi, les auteurs de l'étude n’avaient plus que probablement pas prévu les effets tumorigènes. Même si l’on peut argumenter que l'étude ne suit pas strictement les recommandations adéquates de l'OCDE, il reste une importante observation «scientifique» (pas «réglementaire») qui ne peut être ignorée et justifie la poursuite des recherches à long terme avec un accent particulier sur les effets tumorigènes non seulement des OGM mais aussi des formules pesticides, et du mélange des deux comme utilisé dans les pratiques agricoles .

Je me sens également honteux parce que votre décision apporte des arguments à ceux qui soutiennent et même affirment que la recherche scientifique (en particulier dans les sciences biologiques) est de moins en moins indépendante et de plus en plus soumise à la pression de l'industrie. Votre décision qui peut être interprétée comme une volonté d'éliminer les informations scientifiques qui ne permettent pas de soutenir certains intérêts industriels est, à mon avis, inacceptable. Si vous et vos collègues du comité de rédaction aviez des questions concernant la conclusion de l'étude Séralini, la seule attitude scientifique aurait été de demander des études complémentaires. Rétracter des données soulève des questions et crée la suspicion et n'est pas une attitude scientifique.

Sincèrement,

Marcel Roberfroid
Professeur émérite de biochimie et toxicologie
Université Catholique de Louvain, Belgique